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mercredi 16 décembre 2009
L'Europe de Lisbonne est-elle trop belle pour les Européens ?
Deux ans après l'échec du referendum de 2005, la signature du traité de Lisbonne laissait croire à une dynamique européenne retrouvée. Les péripéties de sa ratification – Pologne, Irlande, République Tchèque – ont certes paru longues et incertaines, mais pas plus, finalement, que celles de tant d'autres « marathons » européens. Ce qui surprend, c'est qu'à l'heure ou - toutes les ratifications réunies – le traité entre enfin en vigueur, l'enthousiasme retombe aussi vite. Certes, la crise est passée par là, mais est-ce d'elle seulement que souffre aujourd'hui l'Europe ?
Lisbonne apporte trois innovations essentielles que les Etats s'appliquent aujourd'hui à vider de leur portée :
La personnalisation d'institutions trop éloignées des citoyens européens, grâce à la désignation d'un président du Conseil européen et d'un haut représentant pour les affaires étrangères s'inscrivant dans la durée. Or, après avoir reconduit le très docile M. Barroso, les Etats se sont accordés sur des expéditeurs des affaires courantes plutôt que de faire appel à des personnalités exprimant une conviction et une vision européennes. Leur souhait évident est de garder les mains libres.
Le retour à l'esprit communautaire, que devrait favoriser une majorité qualifiée étendue et des coopérations renforcées simplifiées. Or, les affrontements sur les compétences des commissaires européens, qui portent plus sur la personnalité de leurs détenteurs que sur la logique de leur répartition, affaiblissent dès le départ, le caratère collégial de la Commission. Quant aux embrassades médiatiques de Mr Sarkozy et de Mme Merkel, devant lesquelles certains s'émerveillent de retrouver le couple franco-allemand, elles n'annoncent pas un nouveau moteur pour l'Europe mais un rétropédalage dans l'intergouvernemental.
L'affirmation de nouvelles ambitions, grâce à l'extension des compétences, notamment celles du troisième pilier. Mais comment celles-ci pourraient-elles se concrétiser quand les Etats, soudainement raisonnables, cherchent dans la crise des arguments supplémentaires pour limiter le budget de l'Europe à moins de 1% du PIB ? Jamais, la discussion des contributions des Etats dans les parlements nationaux n'a donné lieu à de tels assauts d'euroscepticisme.
Cette frilosité tombe mal. Rarement, autant de conditions ont été réunies pour que l'Europe retrouve une nouvelle impulsion.
- Parce qu'après des années de tergiversations institutionnelles, le champ est désormais totalement ouvert pour la relance des politiques communes.
Les échéances sont là: celles des négociations internationales – sur l'environnement (Copenhague) et sur les régulations financières (si les G20 perdurent) -, celles des politiques à renouveler – agriculture, recherche, fonds structurels.
Dans un monde qui bascule de l'Ouest vers l'Est, ou les Etats-Unis tournent les yeux vers la Chine, l'Europe n'existera qu'en se donnant des stratégies – ce qui veut dire: des analyses, des objectifs, des instruments d'action.
Stratégie de la connaissance, celle de Lisbonne, qui ne peut plus être abandonnée au bon vouloir des Etats, mais qui doit être coordonnée, et même dans certains domaines – la recherche fondamentale, les projets mobilisateurs – quasiment intégrée. Stratégies des politiques industrielle et agricole qui doivent être doublées d'une stratégie commerciale et d'une stratégie monétaire, dans un univers qui n'est en rien celui d'une concurrence pure et parfaite.
Parler d'une défense européenne, qui soit autre chose que la coordination de contingents destinés aux opérations de police internationale de l'OTAN, et d'une politique étrangère qui exprime un projet cohérent de l'Atlantique à la mer de Chine, paraît hélas désormais prématuré.
- Parce que pour une majorité d'Etats, la question des ressources et des moyens de l'Union ne peut trouver de meilleure réponse que purement européenne.
Pour des Etats plongés dans les déficits, le relai logique des contributions nationales ne peut être que le financement de l'Union par des ressources propres.
Le problème n'est pas technique. Que l'on opte, pour instituer un prélèvement européen, pour une fraction de taux de TVA ou pour une fraction de taux d'impôt sur les sociétés, les dossiers d'harmonisation des assiettes sont déjà aboutis ou très près de l'être.
La question est politique. Même avec des taux très faibles, ce prélèvement heurte chez beaucoup de nos partenaires le principe de consentement national à l'impôt. l'association en amont des parlements nationaux au processus budgétaire européen constituerait la meilleure réponse. Paradoxalement, la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe pourrait faire accomplir au Bundestag allemand des pas précieux dans cette direction.
D'autre part, pour des Etats qui ont dépassé leur capacité normale d'endettement, l'Europe a l'avantage d'offrir un potentiel quasiment intact. La Banque européenne d'investissement (BEI) n'a exploité qu'une part de ses capacités. Pour développer les investissements « porteurs d'avenir » - grandes infrastructures et recherche – le seul « grand emprunt » qui vaille ne devrait-il pas être porté par une Union européenne désormais dotée de la personnalité morale et qui ne pourra pas éternellement rester une personne majeure sous tutelle ?
- Parce qu'à travers les pouvoirs nouveaux accordés au Parlement européen, ce sont peu à peu la montée en puissance et la primauté irrésistible du suffrage universel qui vont s'imposer dans les institutions de l'Europe.
Le poids accru du Parlement européen dans le processus de co-décision lui permettra d'agir sur des domaines jusqu'ici verrouillés par les seuls Etats – notamment la politique agricole commune – et d'imposer, malgré sa dominante libérale, une vision plus pragmatique et plus progressiste que celle des Etats, sur le terrain majeur de l'harmonisation sociale. Son rôle renforcé dans l'investiture du président de la Commission européenne ne permettra pas non plus de renouveller la mascarade d'un président adoubé par les Etats avant même les élections européennes. Au contraire, le choix du successeur de M. Barroso devrait devenir un véritable enjeu politique. Mieux encore, il pourrait être à l'échelle de toute l'Europe, l'élément moteur d'une recomposition politique autour de quelques grandes forces significatives: libéraux atlantistes, Européens régulateurs, écologistes alternatifs.
Le traité de Lisbonne n'est pas une coquille vide. Ses virtualités sont considérables et certaines se développeront spontanément. Mais il est urgent que les Etats le ratifient une seconde fois, cette fois par des actes.
Daniel GARRIGUE
Député non-inscrit de la Dordogne
Edité: mercredi 16 décembre 2009 11:59 AM
Categories: Actualités, Europe et international, France
DANIEL GARRIGUE